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Idée reçue : Vous n'utilisez qu'une fraction de votre cerveau |
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Par Franck Stevens
Article mis en ligne le 04/12/13 |
On entend parfois dire que la plupart des gens n'utilisent que 10% de leur cerveau. C'est peut-être vrai de l'idiot qui a lancé cette rumeur, mais pas de vous et moi !
Cette idée fausse est parfois utilisée pour justifier des croyances absurdes en tout genre : des gens peu scrupuleux l'emploient comme prétexte pour vendre des méthode-miracles supposées rendre plus intelligent ou pour justifier l'existence supposée de pouvoirs surnaturels comme la télépathie ou la télékinésie.
Un exemple d'ouvrage pseudoscientifique exploitant cette idée reçue et la crédulité du grand public. Ne tombez pas dans le panneau !
Un exemple d'ouvrage pseudoscientifique exploitant cette idée reçue et la crédulité du grand public. Ne tombez pas dans le panneau !
Pour ne rien arranger, certains prétendent que c'est Sigmund Freud ou Albert Einstein qui aurait déclaré que nous n'utilisons que 10% de notre cerveau. Aucune source historique ne semble toutefois le confirmer : il semble plutôt que cette citation leur ait été attribuée pour lui donner un semblant de légitimité !
Une fois n'est pas coutume, cette légende semble en réalité nous venir des États-Unis. En 1836, l'écrivain Lowell Thomas déclare dans sa préface pour un livre sur le « développement personnel » que « le professeur William James de Harvard disait que l'homme moyen ne développe que 10% de ses capacités mentales latentes ». Il semble en réalité que le professeur William James se soit limité à dire que l'homme moyen n'utilise qu'une fraction de leur potentiel mental, sans citer de pourcentage précis, mais il n'en a pas fallu plus pour lancer la légende. Ces propos semblent avoir été déformés pour devenir « nous n'utilisons que 10% de notre cerveau », ce qui n'est pas exactement la même chose ! La légende a continuée à être répétée au fil des décennies et a été popularisée par les médias, qui l'utilisent encore souvent aujourd'hui comme prétexte pour justifier l'intelligence exceptionnelle ou les pouvoirs surnaturels de personnages fictifs.
Aujourd'hui encore, les œuvres de fiction utilisant cette légende comme prétexte ne manquent pas !
Aujourd'hui encore, les œuvres de fiction utilisant cette légende comme prétexte ne manquent pas !
Le cerveau est un organe extraordinairement complexe dont certains aspects du fonctionnement ne sont pas encore totalement compris. Dans ces conditions, comment être sûrs que nous en utilisons la totalité ? Plusieurs éléments permettent de le confirmer :
1) Les dégâts cérébraux sont rarement sans conséquence |
La meilleure manière de constater que la totalité de notre cerveau est utile est d'étudier ce qui se passe lorsque l'une de ses régions fonctionne mal, pour une raison ou pour une autre.
Même des dégâts dans une zone très petite, causés par exemple par un accident vasculaire cérébral
Un accident vasculaire cérébral (aussi appelé AVC ou attaque cérébrale) est un dysfonctionnement du cerveau causé par une perturbation du flux sanguin. Il peut être causé par l'éclatement d'un vaisseau sanguin (hémorragie) ou par son blocage total ou partiel (thrombose).
, peuvent avoir des conséquences désastreuses, allant de troubles du langage à la paralysie d'un ou de plusieurs membres. Aucune zone du cerveau n'est donc inutile ! Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que vous n'entendrez jamais un médecin dire ceci :
« Ne vous en faites pas, les dégâts ne concernent que les 90% de votre cerveau dont vous ne faisiez rien… »
Image : Cityofhope.org
« Ne vous en faites pas, les dégâts ne concernent que les 90% de votre cerveau dont vous ne faisiez rien… »
Image : Cityofhope.org
Notez toutefois que l'effet de dommages cérébraux n'est heureusement pas toujours définitif : avec le temps, d'autres régions du cerveau peuvent parfois s'adapter en endossant certaines fonctions des zones endommagées.
2) L'évolution ne fait pas si mal les choses |
Le cerveau ne représente en moyenne que 2 à 3% du poids du corps, mais il consomme environ 20% de son énergie. Le corps humain peut parfois sembler mal fait, mais pas au point de consacrer tant de ressources pour faire fonctionner le cerveau si 90% de celui-ci ne servait à rien !
Au fil de l'évolution, la sélection naturelle a favorisé le développement d'un cerveau de plus en plus grand chez nos ancêtres, malgré le fait que cela complique l'accouchement. Cela ne serait vraisemblablement pas arrivé si l'essentiel du cerveau ne servait à rien : il semble au contraire que le fait d'avoir un grand cerveau ait constitué un avantage évolutif pour nos ancêtres !
À titre de comparaison, le cerveau d'un mouton (à gauche) pèse en moyenne 140 grammes, soit 10% des 1400 grammes du cerveau humain moyen (à droite).
Image : Exploratorium.edu
À titre de comparaison, le cerveau d'un mouton (à gauche) pèse en moyenne 140 grammes, soit 10% des 1400 grammes du cerveau humain moyen (à droite).
Image : Exploratorium.edu
3) On peut aujourd'hui mesurer et cartographier l'activité du cerveau |
Diverses méthodes d'imagerie médicale, comme l'image par résonance magnétique nucléaire (IRM) et la tomographie par émission de positons (TEP), permettent de mesurer l'activité du cerveau dans son ensemble, et leur verdict est clair : aucune partie de votre cervelle n'est à jeter !
Elles permettent en effet de mettre en évidence que toutes les régions de votre cerveau ne sont pas sollicitées de la même façon en permanence : selon le genre d'activité que vous effectuez et votre niveau de concentration, certaines zones sont plus actives que d'autres. Ce ne sont par exemple pas les mêmes régions de votre cerveau qui travaillent lorsque vous déplacez un muscle que lorsque vous essayer de vous rappeler où vous avez mis vos clés, par exemple.
Dans un cerveau en bonne santé, aucune zone ne reste toutefois totalement inactive et elles sont toutes sollicitées à un moment ou à un autre de la journée : elles jouent chacune un rôle dans vos activités quotidiennes, même si elles ne le jouent pas toutes en même temps !
La TEP permet de cartographier l'activité du cerveau (ici, dans différentes « tranches » horizontales)
Image : Science & Vie
La TEP permet de cartographier l'activité du cerveau (ici, dans différentes « tranches » horizontales)
Image : Science & Vie
En conclusion… |
N'espérez pas pouvoir devenir soudain plus intelligent ou développer des super-pouvoirs en débloquant soudain une partie endormie de votre cerveau. Il existe par contre des moyens d'utiliser plus efficacement les capacités bien réelles de votre cerveau : les moyens mnémotechniques permettent de faciliter la mémorisation, par exemple.
En définitive, la meilleure manière de devenir plus « intelligent » n'est donc pas d'utiliser des zones inactives de votre cerveau... mais de l'utiliser plus intelligemment !
Pour en savoir plus |
- LaRecherche.fr [en français]
Nous n'utilisons que 10% de notre cerveau, dossier de Marc Jeannerod dans La Recherche n°412, 30 septembre 2007
- ScientificAmerican.com [en anglais]
Do people only use 10 percent of their brains?, article de Robynne Boyd, 27 février 2008
- Faculty.Washington.edu [en anglais]
Neuroscience for kids – 10% of the Brain Myth, Dr. Eric H. Chudler, Université de Washington
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Classement |
Auteur(s) : Franck Stevens
Catégorie : Idée reçue
Discipline(s) : Médecine
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