Sciences Claires - Chat de Schrödinger

Le chat de Schrödinger


Le chat de Schrödinger

Par Franck Stevens


Article mis en ligne le 10/04/12
Dernière mise à jour le 02 novembre 2013 à 15h51
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Le chat de Schrödinger est l’un des concepts scientifiques les plus souvent rencontrés dans la culture populaire mais les moins bien compris par le grand public. Rappelons en quelques mots l’expérience imaginée par Schrödinger : un chat est placé dans une boîte fermée aux côtés d’un petit échantillon de substance radioactive, choisie de telle sorte qu’il y a une chance sur deux que l’un de ses atomes se désintègre en l’espace d’une heure. Si c’est le cas, la désintégration est détectée par un compteur Geiger, ce qui active un petit marteau qui vient briser une fiole contenant un produit toxique et fait passer le chat de vie à trépas.

La substance radioactive a une chance sur deux de se désintégrer en une heure, donc une chance sur deux d'enclencher le mécanisme qui brise la fiole de produit toxique et tue le chat !
Image : Licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported

L’essentiel est qu’au bout d’une heure, il y a une chance sur deux pour que rien ne se soit passé et que le chat soit encore en vie, et une chance sur deux pour qu’un atome se soit désintégré et que le chat ait été tué.

Pour comprendre l’importance du « chat de Schrödinger », il convient de le situer dans son contexte historique. Lorsque le physicien autrichien Erwin Schrödinger imagine cette expérience, en 1935, plusieurs écoles de pensée s’affrontent en effet quant à la manière dont les équations de la mécanique quantique doivent être interprétées. Selon la plus populaire d’entre elle, l’interprétation de Copenhague, un système quantique peut se trouver dans une superposition de différents états et ce n’est que lorsqu’on cherche à mesurer celui dans lequel il se trouve qu’il en « choisit » un, de façon aléatoire.

Prenons l’exemple de notre particule radioactive qui a une chance sur deux de se désintégrer. Selon l’interprétation de Copenhague, cela signifie que, tant qu’on n’a pas essayé de déterminer si elle s’est désintégrée ou non, elle est décrite par une fonction mathématique qui est un mélange 50/50 de la fonction qui décrit la particule non désintégrée et de la fonction qui décrit la particule désintégrée :

État de la particule = 50% Particule non désintégrée + 50% Particule désintégrée

Ce n’est qu’au moment où on mesure l’état de la particule que la fonction « s’effondre » (on parle en anglais de « collapse ») sur l’un des deux états possibles et l’on voit donc soit que la particule s’est désintégrée, soit qu’elle ne s’est pas désintégrée.

La curieuse boîte imaginée par Schrödinger n’a qu’un but : transposer ce comportement quantique d’un objet minuscule, une particule qui se désintègre, à un objet macroscopique qui nous est plus familier : un chat. Jusqu’à ce que la boîte soit ouverte, le malheureux animal semble en effet devoir être décrit selon les lois de la mécanique quantique par une fonction de cette forme :

État du chat = 50% Mort + 50% Vivant

Autrement dit, tant que personne n’ouvre la boîte, le chat se trouve dans une superposition de l’état « mort » et de l’état « vivant ». Ce n’est qu’au moment où l’on ouvre la boîte et où l’on observe le chat que la fonction « s’effondre » sur l’un de ses deux états : mort ou vivant, avec une probabilité de 50% pour chacun.

Premier malentendu à dissiper : le chat de Schrödinger n’est qu’une Gedankenexperiment, c'est-à-dire une pure expérience de pensée. Aucun scientifique n’a sérieusement envisagé d’enfermer un chat dans une boîte avec une substance radioactive et du poison : non seulement une telle expérience ne nous apprendrait rien et serait inutilement cruelle, mais en plus, il est contraire au bon sens de laisser un animal retors comme le chat jouer avec des produits toxiques, surtout lorsqu’on vient d’essayer de le tuer.

État du chat= 50% Mort + 50% Très en colère

Autre confusion très répandue : dans la culture populaire, l’idée que le chat de Schrödinger est « mort et vivant à la fois » est généralement présentée « correcte » et comme emblématique de la mécanique quantique. En réalité, Schrödinger a imaginé cette expérience de pensée pour montrer que l’interprétation de Copenhague mène à des résultats apparemment absurdes : certaines personnes, comme Einstein et lui, n’adhéraient en effet pas à l’interprétation de Copenhague. Il n’était par exemple pas question pour Einstein de décrire un système quantique par une superposition de différents états, dans sa vision des choses, la particule s’est déjà désintégrée (ou non) avant que l’on cherche à mesurer son état.

Pour nos esprits habitués aux lois classiques (qui ont cours dans notre monde macroscopique) plutôt qu’aux lois de la mécanique quantique (qui décrivent la matière à l’échelle des atomes), cette manière d’aborder le problème peut paraître plus raisonnable que l’interprétation de Copenhague. Elle a pourtant été pratiquement abandonnée depuis : même si des scientifiques défendent aujourd’hui encore des interprétations alternatives, c’est celle de Copenhague qui est de très loin la plus populaire dans le monde scientifique et c’est généralement elle seule qui est enseignée dans la plupart des écoles et des universités. Pour l’anecdote, notez que Schrödinger vivait avec deux femmes en même temps, ce qui n’est peut-être pas pour rien dans son intérêt pour les questions de ce genre.

Femme de Schrödinger = 50% Anny +50% Hilde



Image : Zachary Weiner, traduction par Phiip

Un autre détail mérite d’être corrigé : contrairement à la manière dont il est souvent décrit, le chat de Schrödinger n’est pas un paradoxe à proprement parler. Aussi contre-intuitive que puisse paraître l’idée qu’une particule doive être décrite par une superposition de différents états et ne « choisisse » l’un de ses états précis que lorsqu’on l’observe, tout tend à indiquer que c’est bien ainsi que les choses se déroulent dans le monde quantique. Notre expérience de la vie de tous les jours nous a toutefois habitués aux lois du monde macroscopique, dans lequel ce genre de phénomène n’existe pas, d’où le « paradoxe » apparent.

De façon générale, le passage du monde quantique au monde classique reste encore une question d’actualité, soixante-cinq ans après que Schrödinger ait proposé cette expérience de pensée. Le passage d’une superposition de plusieurs états à un état unique n’est pas juste une curiosité mathématique ou une vue de l’esprit mais un véritable phénomène physique, appelé « décohérence », qui peut aujourd’hui être observé : des chercheurs parviennent ainsi à créer des états du type « chat de Schrödinger » ¬ – entendez par là une superposition de deux états – et à observer leur passage progressif vers un état unique.

Tout cela ne répond toutefois pas à la véritable question : peut-on décrire le chat de la même façon qu’une particule ? Peut-on vraiment dire qu’il est « mort et vivant à la fois », comme on le lit souvent ? Au risque de vous surprendre, la réponse est non.

Première raison à cela : la majorité des partisans de l’interprétation de Copenhague s’accorde à dire qu’il n’y a pas de sens physique « classique » à donner à l’état d’un système quantique avant sa mesure. Ainsi, un état de superposition « 50% mort + 50% vivant » ne signifie pas que le chat est à moitié mort et à moitié vivant, ni qu’il est les deux à la fois : cela veut dire qu’il n’est ni l’un ni l’autre, qu’il se trouve dans un état qui n’a pas d’équivalent dans le monde classique et qu’on ne peut donc pas vraiment expliquer de manière vulgarisée, puisqu’il n’existe pas d’exemple dans la vie quotidienne auquel on pourrait le comparer. Dire que le chat est « mort et vivant à la fois » est un abus de langage qui ne décrit pas correctement la réalité.

Mécanique quantique ou non, les chats morts-vivants restent jusqu'ici confinés au domaine de la fiction.
Image : bytelove.fr

Deuxième raison : puisqu’un chat appartient au monde macroscopique, il n’est pas régi par les mêmes lois qu’une particule, il ne peut donc pas se trouver dans un état de superposition. Interrogés sur la manière dont le faux paradoxe du chat de Schrödinger doit être « résolu », certains vous répondront que la détection de la désintégration de la particule par le compteur Geiger constitue déjà une forme de mesure. Même si personne n’a encore ouvert la boîte pour prendre connaissance du résultat de la mesure, celle-ci a déjà eu lieu : l’état de la particule a déjà été « observé » par le compteur Geiger, ce qui a entraîné le phénomène de décohérence. Le système a donc perdu son caractère quantique et ne se trouve plus dans un état de superposition : la particule est désintégrée ou non et la chat est mort ou vivant. De façon plus générale, un système physique va subir le phénomène de décohérence d’autant plus rapidement qu’il est grand, sous l’effet de l’interaction avec son environnement. Ainsi, un atome isolé est soumis aux lois de la mécanique quantique, mais que les objets que nous rencontrons dans la vie de tous les jours ne le sont pas puisqu’ils sont constitués d’un très grand nombre d’atomes.

Alternativement, il existe une autre manière de répondre à ces deux questions. Nombreux sont les scientifiques pour qui ce genre de considération échappe au domaine de la physique pour entrer dans celui de la métaphysique, point de vue qui peut élégamment être résumé en une phrase, attribuée à plusieurs physiciens de l’époque de Schrödinger : « Tais-toi et calcule ! ».

Sachant tout cela, pourquoi le chat de Schrödinger est-il devenu si célèbre dans la culture populaire ? Vraisemblablement parce que, par cette expérience de pensée, Schrödinger a mis le doigt sur l’un des aspects de la mécanique quantique les plus contre-intuitifs : la superposition d’états, et l’a appliqué à quelque chose qui nous est familier : un chat. Même si ce n’était pas là son intention, il a ainsi donné au grand public une image simple à appréhender de la bizarrerie du monde quantique. Le fait qu’il ait voulu montrer - à raison, mais pas pour les raisons qu’il croyait – qu’il est absurde de décrire un chat dans une superposition d’état semble malheureusement s’être perdu lors de la vulgarisation.


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                   Auteur(s) : Franck Stevens

                   Catégorie : Article

                   Discipline(s) : Physique, Mécanique quantique


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